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"Pourquoi The Wire est la meilleure série de tous les temps"
NilsCAhl Par NilsCAhl, publié le 11/12/2012 à 16:30, mis à jour à 17:39

Nils C. Ahl et son compère Benjamin Fau sont spécialistes des séries télévisés. Ils ont notamment passé trois ans à ne faire que les visionner ou presque. Résultat? Une série fait la différence. Et se place au dessus de toutes les autres. C'est The Wire. Ils expliquent pourquoi.

Depuis quelques années, une affirmation péremptoire revient invariablement lors des dîners en ville ou des déjeuners sur l'herbe: Sur Ecoute est la meilleure série télévisée de tous les temps. En général, votre interlocuteur se pare du plus grand sérieux - et le dit en V.O.: The Wire ("Ze Oaieurh")... Tout le monde opine, personne ne conteste. D'ailleurs, le moindre doute est dissipé comme un vulgaire nuage par les coups de canon de l'évidence. Ah bon? Ze Oaieurh? Bien sûr! Le cuistre l'affirme, et l'amateur le concède. Et nous, nous ne dirons pas autre chose: Sur Ecoute est la meilleure série de tous les temps! Ça, c'est fait... On peut passer à une autre, maintenant? Non: il faut y revenir nous dit-on.

Car l'affirmation est remarquable d'abord par son unanimité (plutôt rare dans l'histoire de l'art et de sa critique). The Wire est la meilleure série de tous les temps parce qu'on vous le dit, tous. Ou presque. Même Irvine Welsh (Trainspotting, Glu) le dit: "the best thing on TV. By far.". Même Barack Obama le dit... ou presque. Avouons-le, surtout: une grande majorité de critiques de séries télévisées le dit - ce qui est le début du soupçon de quelque chose. Car c'est comme avec les listes (Top 10, Top 5, tous ces plaisirs de petite fille de 10 ans, entre le poney et la poupée): décider de la meilleure série de tous les temps, c'est d'abord un autoportrait du téléspectateur et de la télévision. Et pas forcément tels qu'ils sont.

Pour le dire autrement, Sur Ecoute est la meilleure série de tous les temps parce qu'elle est idéale. Une série telle qu'on rêverait que la télévision en produise tous les ans: littéraire, politique, exigeante, profonde... Et policière aussi. Une série qu'on pensait impossible sur un média de masse comme la télévision. D'ailleurs, ses audiences furent confidentielles. On ne doit ses cinq saisons qu'à la bienveillance d'une chaîne câblée dont le modèle économique permet ce genre de production (même à cinquante millions de dollars par an). Voire l'encourage, puisqu'il est aussi question d'image, ici, pour HBO dont le slogan était jusqu'en 2006: " It's not TV. It's HBO." The Wire est l'enfant parfait d'une télévision qui veut être autre chose. L'exigence, la lenteur narrative, le demi-échec de la diffusion de Sur Ecoute valent pour autant de qualités insolites. Le succès est venu autrement - grâce au téléchargement, mais aussi à la distribution des DVD. Parce qu'elle est écrite différemment, débarrassée d'un grand nombre de tics de télévision, elle est regardée et se regarde différemment.

Elle est l'exemple d'une série dont on enchaîne les épisodes. Non pas pour son suspense, mais pour sa densité. Parce que l'on y est immergé et qu'il n'est pas facile d'en sortir. The Wire est une série typique des années 2000, en partie libérée du format hebdomadaire de la dramatique classique. Impensable avant Internet, le DVD ou la VOD, elle est l'enfant d'une télévision qui est déjà autre chose. Et surtout, The Wire est une extraordinaire réussite esthétique. On ne dira pas "cinématographique" ou "littéraire" mais si les deux adjectifs valent pour elle. Elle invente un territoire, déjà effleuré et esquissé, qui est propre à la série télévisée du 21e siècle: la ville.

Elle la dissèque, la met en scène - sa sociologie, sa criminalité, ses identités, ses pouvoirs, son économie... Tout cela au prétexte d'une banale opération de surveillance policière dans les bas-fonds de Baltimore. David Simon, créateur de la série, cite souvent Balzac: Baltimore répondrait à Paris. Le rapprochement est séduisant, mais la série télévisée n'a rien à voir ni avec la Comédie Humaine, ni avec les romans de Dickens (une autre référence avouée). Autant du point de vue de la forme, que du rythme, ou de la construction des intrigues. Et c'est tant mieux.

En revanche, l'immense ambition est bien celle-là: ne pas être qu'une série télévisée. La vision du monde que véhicule Sur Ecoute est d'ailleurs très inhabituelle pour une série télévisée américaine. A la différence d'une grande partie des récits typiques de la culture populaire outre-Atlantique, ici, l'individu n'est pas maître de son destin - et ne le sera jamais. Série chorale, qui maltraite beaucoup ses personnages principaux, The Wire montre, épisode après épisode, que le système dévore tous ses enfants. A l'exception temporaire d'Omar Little (une figure de Robin des bois du deal, gay et chevaleresque), tous les personnages courbent l'échine: c'est le jeu ("the game", le trafic de drogue) qui décide, le jeu dont tout Baltimore fait partie, du petit consommateur au maire, des flics aux voyous. A la manière du destin de la tragédie, probablement, faisant au passage du capitalisme et de la démocratie américaine les Dieux du récit.
On vous le disait bien: une immense ambition littéraire, cinématographique et politique. De fait, Sur Ecoute interroge le monde contemporain: ses logiques de pouvoirs, ses représentations, ses façons de parler aussi. Et elle le fait avec la précision et la vraisemblance d'un documentaire. Peut-être parce ses créateurs sont un ancien policier et un ancien journaliste, et que ses scénaristes sont des écrivains. Ce n'est pas tout à fait de la télévision, ce n'est pas tout à fait de la série. C'est quasi comme un roman, c'est presque un reportage. C'est intense comme la vie - enfin celle qu'on n'a pas (et ce n'est pas plus mal).

Même Les Soprano ne peuvent pas rivaliser avec The Wire

Une telle ambition est inédite à la télévision, en effet. Tout simplement parce qu'elle n'était pas possible, avant. Ni économiquement, ni culturellement. Et Twin Peaks? me direz-vous. Et Les Soprano? Deadwood? Berlin Alexanderplatz? Le Prisonnier? A la maison Blanche? Buffy contre les vampires ?... Buffy... heu... bref. Tout classement est une comparaison. Et avant Sur Ecoute, personne ne se posait vraiment la question de savoir quelle était la meilleure série télévisée de tous les temps. De fait, la série de David Simon et d'Ed Burns est venue remplir un vide. Elle est la série du consensus. Celle à qui on ne reproche rien parce qu'il n'y rien à reprocher. Celle qui est capable à la fois d'un extraordinaire cop show en première saison, et d'une critique belle et douloureuse de l'école des pauvres dans la quatrième...

Sur Ecoute est meilleure que les autres plutôt que la meilleure de tous les temps. Elle n'est pas l'oeuvre trop identifiable de son créateur (comme Twin Peaks, L'Hôpital et ses fantômes). Elle ne se limite pas à un genre (Hill Street Blues, A la Maison Blanche, Battlestar Galactica). Elle n'est pas anglaise (et donc plein d'un "non sense" pas assez universel, même pour le critique si snobe). Elle n'est pas comique comme Seinfeld (parce que le comique, ce n'est pas sérieux, hein). Elle n'est pas jaune comme Les Simpson (et puis un dessin animé, ce n'est pas sérieux, hein). Elle n'est pas inachevée comme Deadwood. Elle n'est pas les Soprano...
Car à certains égards, en effet, la seule autre série, dont l'ampleur, le raffinement, la qualité d'ensemble, les ambitions littéraires et culturelles, se comparent avec celles de The Wire, c'est Les Soprano. Mais la série de David Chase, aussi admirable soit-elle, ne peut rivaliser vraiment: elle s'inscrit dans le sillage de Coppola et la filiation d'un Philip Roth. Elle se permet des anecdotes, elle s'autorise des épisodes pour rien (voire un peu moins bons), pour le plaisir d'une intrigue de genre. Sur Ecoute, c'est Homère et Walter Benjamin, et il n'y a pas une note de trop. Sur Ecoute est une chance pour tous les critiques, une façon de les faire taire une fois pour toutes... !



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