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Un magnifique portrait

Jean Dujardin, un gars dans les étoiles
Portrait | | 27.02.12 | 11h05

C'est l'histoire d'un gars qui ne savait rien faire d'autre. Même son ami Marc Lièvremont, ancien entraîneur du XV de France, doit bien l'admettre, lui qui a déjà fait semblant de lui disputer le ballon sur un terrain de rugby : "Heureusement que Jean a choisi de faire du cinéma..."

Jean Dujardin, le petit dernier d'une famille de quatre frères, dont trois aux prénoms d'apôtres, n'était pas doué pour grand-chose. Freluquet, mutique, nul à l'école, incapable d'écrire sur les lignes comme de lire en continuité, tous les symptômes de la dyspraxie. Au rugby, il valait mieux qu'il coure vite pour ne pas se faire plaquer par ses frères. "Que va-t-on faire de lui ?", s'angoissait sa mère. On l'appelait "Jean de la Lune". Il rêvait. "Je n'étais pas du tout malheureux, précise-t-il avec ce sourire fatal où pointe une canine droite légèrement décalée. J'étais très bien dans mon petit monde. J'observais, je dessinais. A la fin de l'année, j'imitais les profs. La classe riait et j'étais content. Tout ce que je savais faire, c'était jouer."

C'est l'histoire d'un Français on ne peut plus français, né dans les Hauts-de-Seine et enraciné dans les Yvelines, avec un petit vent de sud-ouest. Un nom, Jean Dujardin, comme destiné au patrimoine gaulois. S'appeler Dujardin et grandir à Plaisir : quel programme ! Jean est né d'une mère aimante et effacée, d'un père autoritaire et moustachu. Le père Jacques, rebaptisé en douce "La moustache" par ses quatre fils, un ancien militaire devenu chef d'entreprise dans le bâtiment, rugbyman lui-même, a mis tous ses fils au rugby.

Autant dire que dans cette famille de garçons, français moyens de la bourgeoisie moyenne, élevés dans le sens du devoir, les valeurs de la tradition catholique et un même gros rire jovial, rien ne compte autant que la troisième mi-temps : picoler entre mecs, faire des vannes sur les filles, se chambrer, se marrer, se bagarrer, se taper du coude et chanter Joe Dassin par cœur. Jouer, toujours.

Ce gars-là vient de toucher les étoiles et on ne l'avait pas vu venir. Si français dans son être et si peu français dans son jeu. Le contraire de l'acteur cérébral : intégralement physique, un charisme viril à la Clark Gable, une voix vaguement nasillarde de doubleur de western, un corps qu'on dirait fabriqué pour occuper l'espace et prendre la lumière. Un french lover comme les Américains les aiment, avec le mauvais accent et l'élégance coquine. Dans les talk-shows populaires d'outre-Atlantique, le héros muet de The Artist leur a donné ce qu'ils voulaient: il a joué des claquettes, imité Robert De Niro, fait la moue du chameau. A l'animateur Jay Leno, il a raconté ses séances, enfant, chez un psychologue qui n'avait que quatre doigts à chaque main. "Il me demandait ce qui n'allait pas chez moi. Je lui disais: "Ben moi, ça va..."" Pour l'Oscar, c'était gagné.

Avant qu'il ne devienne muet et en noir et blanc, on ne s'était pas vraiment rendu compte que Jean Dujardin était beau. Il était d'abord le gars d'"Un gars, une fille", avec Alexandra Lamy, chaque jour avant le journal de 20 heures sur France 2, de 1999 à 2003. Il était ce trentenaire normal qui faisait rire à la télé parce qu'on avait le même chez soi pour nous crêper le chignon, égoïste, tendre, jaloux, râleur, lâche, énervant. Il est devenu Brice de Nice (2004), surfeur débile et perdu dans le rêve d'une vague impossible. Puis OSS 117 (2006 et 2009), l'espion idiot, prétentieux, raciste, misogyne, franchouillard et hilarant.

Il est aujourd'hui le-beauf-qui-ne-pense-qu'à-baiser dans Les Infidèles, la désopilante comédie à sketches, intelligemment ironique, qu'il vient de réaliser avec Gilles Lellouche. Dans sa carrière encore courte, Jean Dujardin s'est fait une spécialité des héros stupides. "C'est parce que je suis en terrain connu", lance-t-il, l'œil réjoui. Il ajoute : "Le héros veule, c'est la bible de la comédie. Il a aussi le mérite de rendre le public plus intelligent que le personnage." "Jouer le lâche, c'est être tout près de l'humain", dit Gilles Lellouche.

Nicole Garcia, l'une des premières, l'a sorti de l'ornière. Dans Un balcon sur la mer (2010), on ne rit plus, Nicole Garcia saisit l'acteur dans sa part d'ombre et de drame. "Il y a une mélancolie en lui, explique-t-elle, quelque chose d'obscur qui passe dans son regard, même dans OSS. Il pouvait être le héros romanesque que je cherchais: le gendre parfait qu'une inquiétude fait basculer."

Depuis le "Balcon", Jean Dujardin appelle Nicole Garcia "Mon chef". Peut-être parce qu'il lui doit ses premières larmes. Parce qu'elle a su le mettre à l'os et le faire pleurer, quand le héros du film revient dans la maison de son enfance à Oran. Elle lui disait: "Enlève, enlève encore !". "Je lui ai expliqué l'exil qu'il ne connaissait pas, raconte-t-elle, ce chahut à l'intérieur de soi qui n'est pas du chagrin, le retour de ce qu'on croyait perdu. Jean m'a dit "d'accord". Il s'est assis sur la terrasse, il faisait 40 degrés, il y avait le bruit assourdissant de la ville. Il s'est défait totalement et s'est écroulé en larmes. Il m'a donné ça."

Il l'a donné encore dans Les Infidèles, toujours un peu plus loin. Poussé au bout de sa vulnérabilité par Emmanuelle Bercot dans le sketch central, qui commence dans la grivoiserie et finit dans le tragique d'un couple éprouvé par le jeu de la vérité. Jean Dujardin et Alexandra Lamy, unis dans la vie, jouent à se dire vrai dans le film. La réalisatrice s'est servie de plans volés où il répétait, s'énervait, cherchait. A un moment du film, le personnage frappe le mur et crie de douleur: c'est en fait Jean Dujardin, entre deux prises, malheureux parce qu'il n'y arrive pas.

Le raté de la famille Dujardin n'aurait jamais imaginé en arriver là. Il avait commencé comme serrurier et bricoleur en tout genre dans l'entreprise paternelle. Le père a vite abdiqué. Le petit ne pensait qu'à une chose: jouer la comédie, inventer des sketches. Et parmi les valeurs des Dujardin, il y a celle-ci : "Ce qu'on veut faire, on le fait jusqu'au bout." Les sketches prennent forme : pendant son service militaire, dans les cafés-théâtres, avec sa bande des Nous c nous, Jean Dujardin modèle comme un orfèvre un personnage d'adolescent attardé, fantasme d'une enfance rêveuse et sans tabous, dont la grande occupation est de "casser" (clouer le bec) par une repartie très fine. Du genre: "T'es comme le c cédille dans "surf", t'existes pas… Cassé !"

Brice de Nice est en train de naître. Dujardin et ses compères passent un peu à la télé, chez Patrick Sébastien, Thierry Ardisson ou dans "Graines de star". Les adultes n'y comprennent rien, les ados adorent. Brice de Nice vit sa vie sur Internet. Les fans font le buzz. Les parents se demandent pourquoi leurs enfants passent leur temps à dire "Cassé !", la main comme un couperet, quand ils ont le dernier mot.

La productrice Isabelle Camus, qui l'avait repéré dans l'émission "Graines de star", lui propose de participer au casting d'"Un gars, une fille". "Il était très réticent, raconte-t-elle. Il ne se sentait pas comédien, il avait peur de ne pas être bon." Jean Yanne le remarque dans la série. "Il n'est pas mal, ce mec-là, tu devrais le regarder", dit-il à Annabel Karouby, un temps son agent. De leur côté, les frères producteurs Eric et Nicolas Altmayer, intrigués par l'incompréhensible notoriété de Brice de Nice, entreprennent le film. Puis, dans la foulée, les OSS. Les réalisateurs James Huth et Michel Hazanavicius entrent en scène. Brice et Hubert Bonisseur de La Bath triomphent. L'acteur Dujardin est né.

Jean Dujardin, 40 ans en juin, est un enfant de la télé devenu adulte avec le Web. De cette génération d'acteurs propulsés à la célébrité sans filtre, par un simple "buzz". Ils ne s'empoignent pas sur la politique, ne sont pas hantés par la littérature ni par les films d'auteur comme les cinéphiles de la Nouvelle Vague. "Ils ont en commun une totale décontraction par rapport à l'érudition, au statut des uns et des autres, constate le producteur Alain Attal. Ils n'ont pas honte de citer des comédies "lourdotes" américaines. Chacun participe à tout sur un film, sans frontières entre les métiers."

Rêver, sa fragilité d'enfance, est devenu son ancrage. Le cancre qui avait obtenu à la maternelle le prix de l'observation reste un observateur obstiné. Pour interpréter le héros de Frédéric Beigbeder dans 99 F, de Jan Kounen, il a passé des nuits de fiesta avec son modèle au Montana ou au Mathis bar. "Je le voyais m'espionner, se souvient Frédéric Beigbeder. Il construisait mon personnage. Il allait même beaucoup plus loin car il a une très bonne descente. L'alcool, on a l'impression que ça ne lui fait rien. Je dis respect."

"Je n'ai jamais vu un acteur travailler autant, dit Emmanuelle Bercot. Il propose toujours une version différente. Entre deux prises, il dit son texte en boucle, sur tous les tons. Il refait même les scènes qu'on a fini de tourner, anxieux que ça puisse être mieux." Guillaume Schiffman, directeur de la photo : "Il est tout le temps en recherche, hanté par ses textes. Sur OSS, il travaillait déjà le "Ouaip" de Lucky Luke."

Perfectionniste jusqu'à l'angoisse, Jean Dujardin. Le doute est sa faille, la canine décalée de son sourire presque parfait. La face sombre que l'on peine à trouver chez ce gentleman, bon camarade et drôle à mourir, à qui tout réussit. Mais sa force, dans son ascension fulgurante et quasi inhumaine, c'est de rester un gars normal. James Huth, qui l'a dirigé dans Brice de Nice et Lucky Luke, essaie de comprendre. "A Orly, au pied d'un escalator, il regardait un panneau blanc. Il m'a dit que c'est lui qui l'avait vissé là dans le temps. Son secret est là : il sait d'où il vient et la vérité des choses."

Dans la conversation, entre deux blagues, le nouveau roi d'Hollywood semble parfois rattrapé par une ombre vague. Cet air d'enfant égaré qui le poursuit. Il lâche soudain : "Je crois que je ne suis pas fait pour être connu."

Marion Van Renterghem



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