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31 janvier 2015, par Pierre Sérisier
Le final de The Sopranos



par Maxime Leroux Greifenberg

Le débat sur le final de The Sopranos n'a jamais été clos. Sans doute parce que la fin voulue et tournée par David Chase lui-même est totalement ouverte. Sans doute aussi parce qu'elle a pris pour certains admirateurs de la série la forme d'une déception. La conclusion ne leur apparaissait pas tout à fait à la hauteur des six saisons et des 85 épisodes précédents.
Cette scène finale de l'ultime épisode, intitulé Made In America, mérite à elle seule que l'on s'y attarde et que l'on s'interroge sur la manière dont elle est montée. Comment David Chase est-il parvenu à boucler une série qui ne pouvait connaître de dénouement à la hauteur de sa renommée ?
Au cours de ce dernier instant télévisuel, Tony Soprano est censé retrouver sa femme, son fils et sa fille pour un repas de famille au Holstein, un restaurant situé dans le New Jersey. La caméra attend son personnage : dégarni, vêtu d’un blouson de cuir, le regard toujours emprunt d’une certaine tristesse, il arrive à droite du champ de la caméra.
L’homme franchit le seuil de la porte, la cloche d’entrée sonne. Couper à mi-cuisses, au centre de l’écran : Tony scrute l’intérieur du restaurant ; ses serveurs, ses cuisiniers, ses consommateurs… La caméra adopte alors un point de vue subjectif. Elle fixe à nouveau son personnage puis l’expulse de sa position en l’installant directement dans le box. La caméra, elle, prend la place du personnage. A son tour, elle le reflète.
Ce découpage rappelle la scène qui a précédé lorsque Tony rend une dernière visite à son oncle. Devenu sénile, il réside dans une maison de retraite. Il regarde les oiseaux, à travers la fenêtre, ne sachant même pas que son neveu l’observe, doté du même regard que lorsqu’il franchit le seuil du Holstein : ce regard à mi-chemin entre la condescendance et la tristesse.
Ce gros plan cadré sur le visage de Tony Soprano est alors projeté au fond de la salle. Pourtant la caméra semble ne pas avoir bougé, comme si Tony était lui-même resté immobile, comme si une part de lui-même s’était refusée d’aller voir le vieil homme. Peut-être serait-ce sa conscience ?
A travers cette succession de plans identiques : un schéma se répète et semble ne pas vouloir s’arrêter. A deux reprises la caméra donne un effet de miroir. La caméra se détache alors de son personnage sans pour autant l’abandonner.
A quoi d’autre renvoie cette solitude du protagoniste principal, isolé, tout en étant mêlé à la foule du restaurant ?



Un long adieu
Tout au long de ce dernier épisode, le réalisateur – comme le spectateur - semble dire adieu à ses personnages, sans pour autant sceller le destin de chacun d’entre eux. La vie continue, voilà ce que David Chase tente de dire, ni plus ni moins. Mais cette apathie présente dans chaque scène révèle une certaine tension. Un danger semble alors se dessiner. Cette dernière scène agirait alors comme le dénouement à cette tension née de l’inertie de tout l’épisode.
Assis confortablement dans son box, Tony lorgne la porte d’entrée attendant l’arrivée de sa femme, son fils, et sa fille. La caméra adopte alors deux points de vue : l'un subjectif (celui de Tony) et l'autre externe qui vont inexorablement se rejoindre.
Le parrain n’est à l’affût que d’une chose : la porte d’entrée qui s’ouvre et se referme dans un tintement de clochette. Il attend les siens. Il patiente en consultant les différents titres proposés par le moniteur du jukebox. Après avoir parcouru la liste, il se décide pour "Don’t Stop Believin’". Le tube de The Journey) efface la musique de fond et prend une toute autre ampleur, révélatrice du reste de la scène et de ce qui s’ensuivra.
Alors que la caméra oscille entre des prises de vues externes et internes, le spectateur remarque que l’attention de Tony est accaparée par le tintement de la clochette. Elle lui rappelle la nécessité d’être aux aguêts.La caméra nous montre un parrain de la mafia tout à fait extérieur aux dangers que représente une telle occupation. A la manière d’un enfant, il semble s’être isolé, à la lisière de deux mondes, refusant de voir celui des adultes.
Au moment où démarre la chanson de The Journey, Carmella pénètre dans le restaurant et Tony lui rappelle qu'un de ses acolytes est sur le point de témoigner contre lui. Cette précision remet au centre du jeu le caractère dramatique du héros et incite le spectacteur à s'interroger sur la fin de Tony: finira-t-il tué ou incarcéré ?
David Chase continue alors à mener deux "intrigues" parallèles dans ce lieu unique. Par des prises de vue extérieures à la conversation du couple, le réalisateur crée une certaine tension qui jusque-là n’était qu’en filigrane. Toutes les personnes présentes deviennent une potentielle menace.
L'attention se porte alors sur un homme qui est entré au même moment que le fils de Tony et qui s'est installé pour commander un café. Un traveling latéral l'accompagnera lorsqu'il se rendra aux toilettes.
La tension se fait de plus en plus palpable et cela prend une forme tout à fait inattendue et originale. Meadow, la fille de Tony, se révèle incapable de réussir un créneau avec sa voiture et de se garer correctement dans la rue. Cette inaptitude devient elle-même un sujet d'interrogation qui s'exprime en miroir des questions posées en suspens. Tout semble converger vers un point unique qui reste néanmoins à définir.
L’ataraxie finit en fait par devenir le moteur de toute la tension. Deux Afro-Américains entrent dans la salle, se déplaçant avec une grande décontraction. L'action (le créneau qu'essaie d'accomplir Meadow) tente de dissiper un sentiment d'apathie et pourtant la famille Soprano est comme immobilisée physiquement. Les plans se multiplient pour articuler la scène autour de Tony. Son inactivité est révélatrice de la tension qui converge vers lui.



Mouvement latéral
La pièce maîtresse de cette tension est l'homme entré avec le fils de Tony. Le travelling latéral grâce auquel on le suit nous suggère que l'individu est prêt à entrer en collision avec un autre monde, celui dans lequel se trouvent les Sopranos qui sont, eux, immobiles.
Son action, bien qu’anodine, rappelle une scène du Parrain (film essentiel pour comprendre la série de David Chase) dans laquelle Michael Corleone se rend aux toilettes afin de chercher une arme et tuer sa cible. Ici, l’individu se rend aux toilettes, a-t-il le même objectif en tête ?
Le mouvement latéral de la caméra laisse penser que Tony Soprano est peut-être le parrain de la mafia le moins méfiant au monde. Il ne jette qu’un bref coup d’œil à l'homme. Mais dans le temps, ce déplacement apporte une possibilité de résolution. La menace (supposée) n'est plus visible, elle ne n'a pas pour autant disparu. Elle s'est rangée dans notre imaginaire et a rejoint le rayon des hypothèses que l'on pourra plus tard avancer pour donner une explication à la fin de la série.
Les dernières secondes de la série prennent alors une forme allégorique. Un bol d'onion rings est depossé devant les trois membres de la famille. Chacun a son tour, les Soprano piochent dans ce bol comme s'ils participaient à une communion païenne. Une sorte d'acte religieux avant de succomber. Cette scène vient soutenir les hypohtèses mentales suggérées par le déplacement de l'homme aux toilettes.
Toutes les intrigues de cette dernière scène finissent donc par converger vers Tony lui-même. Meadow a enfin réussi à se garer et se précipite vers le restaurant. C'est à cet instant que la caméra reprend le point de vue du parrain qu'elle avait abandonné.
La musique défile, il jette un coup d'oeil machinal vers la porte avant que celle-ci s'ouvre, avant que retentisse la clochette. Tout se coupe brutalement, comme on débranche une prise de courant, comme on meurt ? Tout s'arrête, l’image, la série et la musique. Cette dernière s'interrompt de manière ironique sur les paroles "Don’t stop".
Si l'histoire de Tony Soprano se poursuit, c'est derrière cet écran noir, sur la toile blanche des hypothèses que chacun de nous peut désormais formuler. A chacun sa vérité, à chacun sa fin, à chacun d'imaginer sa résolution. La frustration éprouvée est compréhensible mais l'artifice constitue sans doute le meilleur moyen de continuer à faire vivre Tony Soprano dans la mémoire de chaque spectateur. Avec cette exhortation "Don't Stop".
Avec cet artifice, Chase mêle de manière indissociable la narration et la réalisation. Avec ce final, Chase exclut son spectateur tout comme il exclut la totalité de ses personnages avec la même méthode et au même instant : via la caméra. La caméra nous rejette en tant que spectateur, elle nous force à reconnaître que tout est terminé. Il y a aussi une mise en abyme de la condition du spectateur dans la série.
De la même façon que le pari de Pascal est insoluble et relève de la foi, Chase joue de l’insolvabilité de ce mystère. Le créateur a délibérément mis finà notre état de spectateur de la série et n'a pas simplement arraché chacun d'entre nous des images que nous regardions. Fin du rêve, nous pouvons nous réveiller.
(Images: HBO)



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