Cinéma

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 posté par Bibi : 
Très bon papier dans le monde d'aujourd'hui.

Je vous invite grandement à le lire:

De quoi avons-nous peur (au cinéma) ?
La sortie simultanée de plusieurs films d'horreur invite à réfléchir aux représentations contemporaines de l'effroi


La peur a toujours été liée à la capacité de monstration du cinéma, depuis ses origines. C'est aussi le carburant d'un genre qui conserve, du septième art, quelque chose de ses origines populaires et foraines. La sortie de plusieurs films en salles cet été confirme la popularité d'une catégorie cinématographique qui, tout en s'ingéniant à faire sursauter les spectateurs, témoigne aussi d'une tendance à donner forme à une angoisse contemporaine plus profonde. Le cinéma d'horreur, s'il attire toujours un public plutôt jeune en quête de frissons du samedi soir, est aussi le formidable révélateur d'un certain état du monde. Les fictions de la terreur cinématographique ont toujours une dimension théorique.

Le succès du Projet Blair Witch en 1999 avait, on s'en souvient, enclenché une série de films d'épouvante narrés selon la méthode du " found footage ", comme si les événements montrés avaient été filmés par une caméra amateur dont on aurait retrouvé les images.

Ce dispositif deviendra un cliché systématique après 2001 et les attentats du 11-Septembre justement, cet événement où la réalité, bien qu'ayant l'air de s'inspirer du cinéma-catastrophe le plus pur, était devenue plus effrayante que la fiction elle-même. Des films comme Diary of the Dead (2007), Cloverfield (2008) ou la série des Paranormal Activity injectaient ainsi un effet de réel dans des histoires par ailleurs plutôt classiques mettant en scène des monstres géants, des zombies ou des spectres. Un des derniers représentants en date de cette tendance fut le convaincant The Bay, de Barry Levinson, sorti le 19 juin.

Quelque chose de nouveau semble pourtant apparaître depuis plusieurs années, avec un cinéma placé sous le signe du désastre et de la fin du monde. Mais la fin du monde, telle que la mettent en scène un grand nombre de productions contemporaines, doit moins être vue comme une menace millénariste que comme la disparition d'un lien social détérioré par la marche générale de l'économie.

Perdre le contrôle de sa propre vie, revenir à un état antérieur à la civilisation, à un moment où le droit ne régissait pas les rapports humains, est devenu un motif récurrent de l'effroi cinématographique. Privée de tout Etat, l'humanité retourne à un stade de lutte à mort pour la vie. Dans cette vision, d'un nihilisme parfois adolescent et souvent surjoué, l'homme redevient un loup pour l'homme.

Le combat pour la survie favorise donc l'expression d'un égoïsme individuel livré à lui-même. Les Derniers Jours, des Espagnols Alex et David Pastor (sortie le 7 août) imagine une humanité victime d'un virus qui empêche désormais quiconque de sortir à l'air libre, condamnant les hommes à vivre comme des rats dans les immeubles et les sous-sols (égouts, métros), se battant pour leur nourriture.

Plus clairement encore, American Nightmare, de James De Monaco (sortie le 7 août), invente un futur proche où tout crime serait, durant une nuit, impuni, permettant à la société de se purger de sa violence latente. Le moindre ressentiment de voisinage trouve ainsi, comme naturellement, à s'assouvir dans le meurtre.

Derrière la fantaisie de ces récits extravagants se cache pourtant une crainte plus concrète, celle de la dépossession, la peur du déclassement social. Comme si la crise d'une économie mondialisée trouvait à s'incarner dans des scénarios cauchemardesques. Significativement, les comportements des héros de ces récits sont déterminés par leur fonction sociale. Celui des Derniers Jours est sur le point d'être licencié, le père de famille de Dark Skies, de Scott Charles Stewart (sortie le 26 juin), est au chômage, avant d'être persécuté par des extraterrestres mais surtout d'être rejeté par les habitants de son quartier. Quant à celui d'American Nightmare, c'est un cadre d'entreprise obsédé par ses résultats économiques.

Cette menace de la dépossession prend souvent, aujourd'hui, la forme d'un sous-genre que les Américains appellent " home invasion ". Des inconnus tentent de pénétrer dans le domicile des protagonistes, schéma adopté justement par American Nightmare mais aussi par You're Next, d'Adam Wingard (sortie le 4 septembre), et par l'excellent mais âpre Kidnappés, de l'Espagnol Miguel Angel Vivas (2011).

La pure logique de la terreur (les spectateurs tremblent pour le sort de personnages qui leur ressembleraient) est perturbée par une animosité de classe qui, insensiblement, pencherait du côté de la barbarie. Le héros d'American Nightmare, père de famille conformiste, apparaît immédiatement antipathique, et seule l'indignation éthique de ses propres enfants lui accordera une possibilité de rédemption. Les tueurs de You're Next, qui iront jusqu'à assassiner père et mère, sont principalement mus par l'avidité et l'appât du gain. Ils se heurteront à plus violent et plus expert qu'eux dans l'art de tuer. Le film peut ainsi être lu, au-delà de son humour noir, comme une violente charge antibourgeoise.

La peur, apparemment construite sur une menace imaginaire, s'ancre, on le voit, à une crainte qui, elle, provient de la réalité elle-même, une crainte qui la nourrit tout autant qu'elle lui donne une base crédible. Mais, derrière la frousse de l'Homo economicus qui voit sa vie lui échapper sous les effets d'un libéralisme sans entraves, se cache une vision proprement sadienne. La cruauté du cinéma d'horreur d'aujourd'hui réside dans la peinture des conséquences d'une satisfaction illimitée des désirs que promettraient le monde moderne et l'illusion de la fin de l'Histoire. L'effroi contemporain est ainsi celui ressenti face à la révélation de ce qui, nécessairement, doit advenir lorsque l'individu jouit de la possibilité d'aller au bout de son désir, désir qui peut aller jusqu'à la mort de l'autre.

C'est ce dont ne cessent de parler les films terrifiants d'un Kiyoshi Kurosawa (Cure, Kaïro). Des titres comme le formidable Hostel d'Eli Roth (2005), mais aussi des oeuvres plus mineures comme Turistas (2006), de John Stockwell, la série, très populaire, des Saw, et plus généralement ce que l'on appelle le " torture porn " (film dont le scénario est le prétexte à des scènes de torture) n'évoquent - plus ou moins lucidement, certes - que cela. L'homme y est souvent réduit à l'état de prédateur qui trouvera plus prédateur que lui (You're Next). " L'homme est un tyran quand il bande ", avait, en substance, écrit Sade. Le cinéma d'horreur contemporain est une représentation plausible et vulgarisée de la manifestation de cette tyrannie.

Jean-François Rauge



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