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Le baseball, sport des présidents américains
Le Monde.fr | 29.10.2012 à 10h15

Les Giants de San Francisco ont remporté les World Series en écrasant les Tigers de Detroit par quatre victoires à zéro. Le championnat de baseball est l'un des événements les plus suivis aux Etats-Unis. Et le sport populaire par excellence entretient une longue et riche liaison avec les pensionnaires de la Maison Blanche. Entretien avec Peter Marquis, maître de conférences à l'université de Rouen, historien des sports, spécialiste des Etats-Unis.

De quand datent les liens entre la Maison Blanche et le baseball ?
Peter Marquis : le baseball s'est affirmé comme compagnon naturel de la présidence depuis le début du XXe siècle. C'est l'année 1911 qui voit pour la première fois se produire ce qui est devenu ensuite une tradition, le lancer de balle inaugural de la saison de baseball (first pitch at opening day). Début avril 1911, le président du club des Washington Senators, Clark Griffith, demande au président William Taft (1909-1913) de venir lancer depuis les tribunes en direction du terrain la balle inaugurant la saison.

Depuis cette première, ce lancer présidentiel s'est inscrit dans l'imagerie américaine...
En effet, des images modernes sont ancrées dans l'opinion publique américaine. Le président debout dans les tribunes, souvent entouré des présidents de la Ligue nationale et de la Ligue américaine de baseball, des dignitaires locaux, les femmes au second plan avec les beaux chapeaux, c'est une belle photo qui symbolise la respectabilité de ce sport.

Le président des Etats-Unis a-t-il toujours respecté cette tradition depuis 1911 ?
Les années de guerre, le président n'a pas toujours été disponible que cela soit pour des raisons de relations publiques – ce n'est pas très bien vu en période trouble – ou pour une simple question d'agenda et de préoccupations plus urgentes. On envoyait souvent alors le secrétaire à la guerre ou celui à la marine.

Le président Obama est réputé pour son amour du basket. A-t-il poursuivi cette tradition ?
Ce n'est effectivement pas son sport favori. Il jouait au basket dans l'équipe de son lycée à Honolulu et il joue toujours d'ailleurs, à Washington ou en déplacement. Mais en bon président américain il sait mettre la casquette de baseball quand il le faut. Et puis, c'est un président sportif, il est capable de le faire. Ayant fait une partie de sa carrière à Chicago, il soutient naturellement les Chicago White Sox. Il s'est fait remarquer par sa présence au All-Star Game de 2009 à Saint-Louis. Au début du match, une vidéo fut diffusée pendant laquelle les cinq présidents encore vivants se sont exprimés sur les liens forts entre ce sport et l'identité du pays. C'était dans le cadre du programme d'Obama pour inciter les Américains à donner de leur temps pour de grandes causes. Trente "all stars" du bénévolat et du service furent ainsi honorés ce soir-là [lire cet article en anglais].

George Bush fils a lui bouleversé le protocole peu après le 11 septembre 2001.
Les circonstances dramatiques du 11 septembre 2001 ont poussé le président Bush à lancer la première balle du troisième match de la World Series, la finale de la Ligue nord-américaine de baseball. Elle opposait l'équipe mythique des New York Yankees à celle des Arizona Diamondbacks. Il y a une vidéo incroyable de cet événement. George Bush sort des vestiaires, la caméra le cadre de très près. Il y a un mélange de sourire et de crispation sur son visage. Il réalise finalement un beau lancer, pile dans le gant du receveur. Mais il est intéressant de savoir que c'est Derek Jeter, le joueur vedette des Yankees, qui lui a conseillé d'aller lancer depuis le monticule central, car cela démontrait "plus de virilité". Les 55 000 spectateurs du Yankee Stadium l'ovationnent aux cris de "USA, USA". C'est un grand moment de soutien du président à la ville meurtrie.

Le baseball joue un rôle essentiel dans la dynastie Bush

Après la deuxième guerre mondiale, George Bush père [président de 1989 à 1993] entre à Yale. Il joue en première base pour l'équipe universitaire et remporte même la College World Series, le championnat universitaire nord-américain. C'était un joueur de haut niveau. En dehors de l'anecdote en lien avec le lien 11-Septembre, George Bush fils a également une histoire très ancienne avec le baseball. En 1989, il emprunte 600 000 dollars à ses amis du pétrole pour devenir copropriétaire des Texas Rangers. Fort de sa popularité (son père est le vice-président du pays), il convainc ensuite le maire d'Arlington, siège de la franchise, de construire sur la base d'un partenariat public-privé un stade moderne. L'équipe prospère. En 1998, il revend ses parts et tire un profit de plus de 14 millions de dollars. Beaucoup, comme l'historien polémique du sport Dave Zirin, l'accusent de s'être enrichi grâce à l'argent public.

Quel président détient le record de lancers ?
C'est Franklin Delano Roosevelt (1933-1945). Il a effectué huit lancers inauguraux mais certains en tant que secrétaire à la marine du président Wilson. Roosevelt aimait le sport, il avait une bonne culture sportive. A cause de sa paralysie, il effectuait le geste depuis les tribunes. Mais son sourire quand il lance ces premières balles est resté dans les mémoires comme celui d'un président qui défie l'adversité pour mener le pays au travers d'une crise économique sans précédent et d'une terrible guerre mondiale. C'est d'ailleurs Roosevelt qui a décidé du maintien du championnat pendant la deuxième guerre mondiale...
Dans une lettre, le commissaire de la Ligue nationale, Kenesaw Mountain Landis, l'interpelle sur le sort que le président Roosevelt réserve au baseball en soulevant plusieurs arguments : le contexte de mobilisation des hommes valides, la justification de transports des équipes dans tout le pays alors que le rationnement est à l'ordre du jour en ce domaine et enfin la gestion du risque d'attaques aériennes que représentent les stades illuminés les soirs de match. Début 1942, Roosevelt lui accorde le feu vert en mettant en avant le fait que les Américains ont encore plus de travail qu'avant et qu'ils auront besoin de se changer les idées. Il développe également l'idée selon laquelle le baseball est un loisir sain, à prix abordable et auquel on peut assister le soir après la journée de travail grâce aux projecteurs. Par ailleurs, pour lui, 5 000 à 6 000 joueurs qui apportent du divertissement à 20 millions de spectateurs, c'est un bon calcul.

Est-ce que les joueurs ont été exemptés du service ?
Non, les joueurs vedettes, dans la fleur de l'âge, n'ont pas été exemptés. Ils ont été mobilisés mais souvent à l'arrière. La plupart servaient de coach sportif et jouaient dans les rencontres interarmées. Imaginez ce que cela pouvait être d'avoir Joe DiMaggio dans son équipe. Finalement, la Ligue a fonctionné avec les réformés, les joueurs les plus vieux ou ceux qui étaient trop jeunes.

Le président Ronald Reagan était l'archétype du rêve américain. Il a été d'ailleurs commentateur de radio des rencontres des Chicago Cubs...
Ronald Reagan a d'abord pratiqué le baseball dans son lycée de Dixon dans l'Illinois et à son université d'Eureka. C'était un bon joueur. Ensuite, il a été recruté par une radio de Des Moines pour commenter les matches des Cubs de Chicago. Il était renommé pour la qualité de sa voix. A l'époque, dans les années 30, il recevait à la station les messages télégraphiques décrivant les faits de jeu, les données brutes. Et tout l'art du métier consistait à inventer le décor, ce qui se passait sur le terrain. Reagan raconte dans A Life in Letters que les coupures étaient fréquentes et qu'il devait parfois tenir plusieurs minutes sans informations. Il inventait alors des balles sortantes ou balles mortes. Il en plaisante en se vantant d'avoir réécrit l'histoire du sport avec des records de balles mortes. Dans sa carrière d'acteur de série B, il a aussi incarné des sportifs. Les gens l'identifiaient comme un amateur de sport, un athlète.

Et qu'en est-il du président Bill Clinton (1993-2001) ?
En 1995, à l'occasion du retour de la World Series après la grève de 1994, Clinton prononce un discours dans lequel il utilise la métaphore du baseball. Mais pas seulement celui des professionnels ; il parle de l'importance du baseball amateur, celui de la Little League que l'on pratique de 5 à 18 ans. Il existe des milliers de championnats de ce type sur le territoire des Etats-Unis. Pour Clinton, le baseball est partie prenante de la nation, il créé du lien social dans les villes et les quartiers. Il mobilise les parents. L'un des points forts des mandats Clinton a été cet accent mis sur le lien social, sur cette Amérique unie.
Pour beaucoup de fans, le baseball est aussi le symbole d'une Amérique qui accepte sa diversité. En 1947, le baseball pro met fin à la ségrégation raciale quand le manager des Brooklyn Dodgers, Branch Rickey, signe un contrat avec le premier joueur noir de l'histoire, Jackie Robinson. La barrière de la couleur est brisée, mais les autres joueurs afro-américains entreront au compte-gouttes. On retient surtout que le baseball devança de plusieurs années la déségrégation dans plusieurs pans de la société, comme l'école publique (1954).

La pratique du baseball aux Etats-Unis remonte au XIXe siècle. Quelle place occupait-il alors ?
La tradition du premier lancer est postérieure. Les premières ligues professionnelles se sont créées dans les années 1870. Le baseball n'était pas codifié ou organisé comme maintenant. Il y avait des aléas dans la conduite des championnats et donc l'utilisation du baseball comme instrument de relations publiques n'était pas encore pertinente, même si en 1892 Benjamin Harrison fut le premier président à assister à deux matches de ligue majeure.

Quel est le symbolisme de ce lien très étroit entre le baseball et la présidence américaine ?
Ce sont des rituels patriotiques. L'inauguration de la saison de baseball en avril se déroule donc au printemps. C'est un événement qui revient chaque année à cette période, un symbole d'espoir. Le président s'associe à ce moment de renouveau. D'autres moments du même type concernent le sport US : le traditionnel match de football américain entre l'armée de terre et la marine auquel le président assiste régulièrement depuis Coolidge (1925-1929) et où il change de côté à la mi-temps pour montrer son attachement aux deux corps. Plus récemment, la visite du président à la course automobile de Daytona 500 prend les mêmes atours (Clinton en 1992 ; Bush fils en 2004).
Pour en revenir au baseball, cette tradition s'inscrit dans une stratégie présidentielle d'apparaître comme un président ordinaire. Le baseball est le sport national, le sport populaire. C'est un artifice pour s'identifier à l'Américain moyen. On s'attend à ce qu'il communie avec la nation lors de ces rendez-vous fédérateurs, en adressant par exemple un message aux vainqueurs de la World Series. C'est année, ce sera seulement quelques jours avant le vote populaire pour l'élection présidentielle.
Parfois, la relation n'est pas si harmonieuse. En 1931, Herbert Hoover [président de 1929 à 1933] se rend à la World Series pour se montrer proche du peuple en ces temps de grande crise économique. Mais au lieu de l'applaudir, les spectateurs le huent en s'écriant "nous voulons de la bière". Hoover soutenait en effet le 18e amendement interdisant la vente et la distribution d'alcool. Harry Truman [président de 1945 à 1953] en fit aussi les frais : en 1951, il se rend au stade pour inaugurer la saison mais ne reçoit que les sifflements du public car il vient de relever de ses fonctions le général MacArthur, héros du Pacifique. D'ailleurs MacArthur était invité personnel de Walter O'Malley à Ebbets Field, chez les Brooklyn Dodgers, et des rumeurs laissaient entendre qu'il pourrait devenir Commissaire du baseball.
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